Le devisement du monde
Le chapitre présenté est le premier. Il introduit le récit
Il s'agit de la version de 1955.
[ Version italienne ]
Ici commence l'introduction du livre qui est appelé "La description du monde"
Seigneurs, Empereurs et Rois, Duc et Marquis, Comtes, Chevaliers et Bourgeois, et vous tous qui
voulez connaître les différentes races d'hommes, et la variété des diverses régions du monde, et
être informés de leurs us et coutumes, prenez donc ce livre et faites-le lire ;
car vous y trouverez toutes les grandissimes merveilles et diversités de la Grande et de la Petite Arménie,
de la Perse, de la Turquie, des Tartares et de l'Inde, et de maintes autres provinces de l'Asie
Moyenne et d'une partie de l'Europe quand on marche à la rencontre du Vent-Grec, du Levant et de la
Tramontane ; c'est ainsi que notre livre vous les contera en clair et bon ordre, tout comme
Messire Marco Polo, sage et noble citoyen de Venise, les décrit parce qu'il les a vues de
ses propres yeux.
Sans doute il y a ici certaines choses qu'il ne vit pas, mais il les tient d'hommes dignes d'être
crus et cités. C'est pourquoi nous présenterons les choses vues pour vues et les choses entendues
pour entendues, en sorte que notre livre soit sincère et véritable sans nul mensonge, et que ses propos
ne puissent être taxés de fable.
Et quiconque en fera ou en entendra la lecture y devra croire, parce que toutes choses y sont véritables.
Je peux bien vous le dire : depuis que Notre Sire Dieu a façonné Adam, notre premier père, et Eve avec
ses mains et jusqu'aujourd'hui, oncques ne fut Chrétien, Sarrazin, Païen, Tartare, Indien ou autre
homme de quelque sorte, qui ait vu, connu ou étudié autant de choses dans les diverses parties du monde,
ni de si grandes merveilles, que ledit Messire Marco Polo ; nul autre ne fit autant de voyages qui n'eut
autant d'occasions de voir et de comprendre ; par le cours de sa vie, on peut comprendre et juger que
ce noble citoyen est d'un esprit juste et excellent, puisqu'il fut toujours hautement apprécié des
seigneurs et des princes. C'est pourquoi il s'est dit que ce serait grand malheur s'il ne faisait pas
coucher par écrit toutes les grandes merveilles qu'il vit ou reçut pour vraies, de sorte que les
autres gens, qui ne les ont ni vues ni connues, les sachent grâce à ce livre. En outre, je vous apprendrai
qu'il demeura dans ces différentes régions et provinces bien vingt-six années entières, depuis le début
de sa jeunesse jusqu'à l'âge de quarante ans.
Puis demeurant dans le donjon de Gênes par suite de la guerre, et n'aimant pas rester oisif, il pensa
qu'il pourrait composer ledit livre pour le plaisir des lecteurs. Il n'avait consigné lui-même que
bien peu des choses dont il a souvenir encore aujourd'hui ; c'est bien peu en regard de la vaste relation,
et presque infinie, qu'il aurait pu faire s'il avait cru possible de revenir dans nos régions ;
mais jugeant presque impossible de quitter jamais le service du Grand Kaan, roi des Tartares, il nota seulement
seulement quelques détails dans ses tablettes. A présent, il a fait écrire toutes ces choses en bon ordre
à Messire Rustichello, citoyen de Pise, qui était avec lui dans le même donjon de Gênes, en l'an 1298 depuis
la naissance de notre Seigneur et Maître Jésus-Christ.
Et il l'a divisé en trois parties.
Marco Polo, "Le devisement du monde", chapitre I
. Texte intégral établi par A.-C. Moule et Paul Peillot
. Version française de Louis Hambis (1955)
. Ed. La Découverte & Syros, Paris 1998.
Remarque : vous constaterez l'utilisation de la troisième personne. En effet, c'est Rustichello qui
a écrit le livre. Marco Polo le lui a dicté lors de son emprisonnement, suite à la bataille de Curzola
(voir la vie de Marco Polo).
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